Face aux défis sociétaux actuels, le système de l’enseignement supérieur se trouve engagé dans une inévitable dynamique de transformation sociale, politique et pédagogique. Un des enjeux des institutions du supérieur, est de développer un pouvoir d’agir collectif propice à une transformation pédagogique systémique et durable. Dans ce contexte, l’évaluation ne s'envisage plus uniquement comme un moyen de contrôler l’action en référence à certaines normes, et dans une logique de conformité, mais s’inscrit dans une perspective développementale, fondée sur l’analyse des effets de l’action et sur les processus conduisant à ces effets, dans une démarche d’amélioration continue (Besançon et al., 2013). Il s’agit alors pour les acteurs et actrices de l’enseignement supérieur de s’approprier une culture de l’évaluation (Teitelbaum, 2020), dans une visée émancipatrice qui consiste à mieux comprendre ses pratiques d’enseignement-apprentissage pour pouvoir les transformer.

Parce qu’une telle démarche émancipatrice de l’évaluation vient bouleverser les postures existantes, pour l’ensemble des parties prenantes de ce processus, se pose la question de la place et du rôle de la recherche. L’évaluation des pratiques pédagogiques par la recherche est-elle suffisante pour soutenir l’émergence de nouvelles postures (Lameul, 2016) ? Faut-il repenser les processus de recherche pour tendre vers un développement mutuel de l’évaluation et des pratiques pédagogiques ?

Au sein du Living Lab rennais, l’articulation avec la recherche s’inscrit dans le soutien au développement d’une enquête collective ascendante (Dewey, 1993 ; Perraud, 2018) à partir des problèmes de la pratique. Dewey définit le paradigme de l’enquête comme “tout processus menant d’une situation indéterminée à une situation déterminée, à “ un tout unifié” par la connaissance” (Messina et al., 2020), à travers une démarche de problématisation qui articule théorie et pratique. Les chercheur·ses sont alors considérés comme des partenaires dans la conduite de cette enquête au même titre que les acteurs et actrices du terrain (enseignant·es, étudiant·es, personnels de soutien, gouvernance, partenaires externes), également considérés comme des co-chercheur·ses. L’expérience de chacun·e est reconnue comme nécessaire et d’importance égale pour nourrir la réflexion collective.

Des méthodes de recherche intervention, de recherche évaluative (Depover et al., 2011) ou de recherche-action, telles que le design-based research, les ingénieries coopératives (Sensevy, 2016) ou le Laboratoire du changement (Engeström et Sannino, 2013), peuvent venir en soutien du développement de cette enquête collective. Toutefois, une méthodologie est à co-construire pour permettre aux acteurs et actrices du terrain de s’approprier les outils et méthodes de l’évaluation propices au développement d’un pouvoir d’agir collectif.

La journée d’études AIPU France organisée par l’Université Rennes 2 vise à apporter des repères sur l’innovation en recherche dans le processus d’évaluation des pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur, à stimuler des initiatives et à initier une réflexion collective dans ce domaine. Pour cela, nous proposons d’interroger cette articulation de la recherche et de l’évaluation, à travers deux axes :

• Innover en recherche pour développer la pédagogie de l’enseignement supérieur
  Qu’est-ce qu’une innovation en recherche dans le champ de la pédagogie ? Pourquoi et pour quoi innover en recherche ? De quelles natures peuvent être ces innovations ? Portent-elles sur de nouveaux objets de recherche, sur de nouvelles méthodologies, sur de nouveaux croisements disciplinaires, sur le rôle et les postures des acteurs ? Dans quelle mesure ces innovations interrogent-elles les paradigmes existants ? À quels niveaux l’innovation se situe-t-elle ? Comment la documenter et la valider ? Quels sont les défis auxquels nous sommes confrontés quand nous innovons en recherche dans le domaine de la pédagogie ?
  
  
• Évaluer les dispositifs pédagogiques par la recherche avec les acteurs
  Quelle place peut avoir la recherche avec les acteurs dans les processus d’évaluation de l’enseignement et de l’apprentissage et dans l’évaluation des transformations pédagogiques ? Quelles innovations possibles dans ces processus d’évaluation ? Dans quelle mesure l’innovation en recherche peut-elle participer d’une transformation des pratiques d’enseignement-apprentissage et à un développement professionnel des acteurs ? Quelle élaboration des indicateurs pour évaluer les pratiques pédagogiques et leurs évolutions ?